retour sur une mission unique
Besançon, le 13 février 2006
En ce jour du 13 février 2006 me voici donc lancé pour écrire ce qui sera sans doute le dernier message du blog « Antoine, le Tchadien », blog qui a été créé à l’occasion de mon expérience de Volontaire au Tchad et qui aura permis de me suivre un petit peu le long de ces 8 mois (mars – décembre 2006). N’ayant pu réellement participer à l’activité de ce blog au Tchad, il était de mon devoir de vous adresser une dernière lettre vous faisant un peu part de mon vécu là-bas et de mes ressentis.
Même avortée de 16 mois, cette expérience au Tchad de 8 mois m’aura laissé sans aucun doute des traces indélébiles tant positives que négatives. Il s’agissait en effet de ma première découverte avec l’Afrique Noire et celle-ci fut très riche d’enseignement (et ce à tous les niveaux !).
Pour beaucoup d’expatriés qui avaient déjà un peu de bouteille dans ces contrées, le Tchad constitue un peu le baptême du feu pour les novices. « Si tu tiens au Tchad alors, tu tiendras alors partout ailleurs et tu ne pourras qu’avoir que des bonnes surprises par la suite ! » : tel était le discours que prononçaient bons nombres d’expatriés et qui nous mettaient déjà dans l’ambiance dès notre arrivée. Et effectivement, il ne m’a fallut que très peu de temps une fois sur place pour réaliser que je me trouvais dans un pays bien difficile d’approche et très sombre.
Deux semaines après mon arrivée au Tchad, nous fûmes déjà obligés de rester à Moundou et de ne pas s’en éloigner en raison des tentatives des rebelles de s’accaparer de N’Djaména et de prendre les renes du pouvoir. Ce climat d’instabilité et de tensions était un peu permanent dans ce pays (également aussi dans beaucoup de ces pays limitrophes !) même si cela se calmait un peu en période de saison, des pluies. Dans ce cadre-là, j’estime avoir eu beaucoup de chances de missionner à Moundou : zone assez pacifiée qui représente un peu le poumon économique du pays.
Comme je l’écrivais dans mes lettres depuis le pays de Toumai, beaucoup de facteurs ont plongé et plonge encore le Tchad dans la grande pauvreté et le marasme économique : instabilité politique ; absence totale de l’autorité de l’Etat et de politiques réelles en matière éducative, sanitaire, etc ; , corruption ; exploitation du pétrole dont les bénéfices ne reviennent pas à la population ; crise du Darfour qui déborde à l’est du Tchad et où toutes les horreurs possibles et inimaginables se produisent encore; sida ; etc….Un tableau bien noir que je dresse mais qui pourtant est la réalité.
Bien évidemment de cette difficile situation et de ce manque de perspectives en découlent une population laissée à elle-même, fragilisée et ouverte à toutes les dérives : violence, alcolisme, vol, etc….et ce même si la population se dit « solidaire entre-elle ».
Pendant ces 8 mois sur place, j’ai du apprendre à me méfier des gens, y compris au sein-même du cadre de notre travail. Même en ayant que le statut de Volontaire nous attirions tout de même la convoitise des tchadiens ce qui au fond est fort compréhensible, le besoin primaire de pouvoir s’alimenter correctement et de boire de l’eau de qualité n’étant même pas garanti dans ce pays pour l’ensemble de la population.
Je trouvais l’environnement que je côtoyais au quotidien était très malsain, pesant et sans doute à ce niveau-là que je n’ai pu prendre réellement mes marques. Chaque individu pris individuellement ne réagis pas de la même manière face aux choses et ne ressent pas les mêmes choses.
Il restera d’ailleurs sans aucun doute des images chocs à tout jamais gravées dans ma mémoire remettant même en cause la dignité même de l’homme. Drôle de sensations quand on sait que le Tchad est soi-disant le berceau de l’humanité….Il y a donc de quoi s’interroger sur la nature même de l’homme….
Mes meilleures pensées s’adressent tout d’abord à l’ensemble des personnes que j’ai brutalement quitté au Tchad et pour qui j’avais un profond respect. Cela concerne bien des gens du PROADEL, de la représentation de l’AFVP sur place, de nombreux tchadiens de Moundou, des volontaires encore présent au Tchad ou même de bien des coopérants. J’aurai rencontré bien des personnes remarquables là-bas, ce qui aura très positif dans cette expérience même terni par des impressions négatives. L’avenir nous dira si nos chemins se recroiseront un jour où l’autre mais, quoiqu’il arrive j’aurai toujours une grandes pensées pour eux et avec qui s’étaient établies des relations sincères….
Par ailleurs, je ne saurai qu’être reconnaissant envers la famille et bons nombres de mes ami (e) s qui ont su au moment où il le fallait être solidaire avec moi pour affronter ce rapatriement sanitaire, le réveil au Val de Grâce et la convalescence qui s’en est suivie. Pour tous ceux qui doutent encore que l’amitié est quelque chose de bien futile, c’est bien dans ces moments là que l’on se rend compte de toute son importance et de la chance d’être entouré.
Cette expérience m’aura donc bien évidemment laissé un goût amer, ce qui est fort compréhensible. Toutefois malgré les points noirs évoqués précédemment, je retire de cette mission du positif : le fait d’avoir travaillé sur une mission très captivante avec des gens très intéressants ; de connaître un peu plus mes envies, mes limites, mes sensibilités ; d’avoir découvert un pays superbe ; d’avoir une vision plus élargie du développement et de la solidarité internationale, etc. Je me suis également rendu compte qu’en pouvant aider les gens il était alors possible de faire bien plus de mal que de bien. Je fus également choqué par certaines pratiques d’ONG Humanitaire Internationale venant dans ce genre de pays pour se faire plus d’argent ! Tous ces aspects positifs n’ont à mon goût pas de prix et font évoluer les individus !
Avec le recul et les jours qui passent depuis mon retour en France, j’ai l’impression d’avoir quitté le Tchad depuis une éternité alors que mes 8 mois sur place se sont égrenés à une vitesse folle. Je ne m’ennuyais guère au Tchad et ce même si je ne me faisais pas trop à la vie locale. Comme beaucoup me l’on fait remarqué, je racontais dans mes mails que très peu ma vie au quotidien ! Cela est vrai mais en fait dans ce cadre-là, je n’avais que très peu de choses à dire car, tout cela était bien monotone (c’est comme cela que je l’ai ressentie !).
On dit souvent que la première expérience dans un pays est souvent déterminante pour la suite car, on y attache beaucoup d’importance. Je crois qu’effectivement mon expérience roumaine fut beaucoup agréable, enthousiasmante par rapport à cette mission volontaire au Tchad qui fut beaucoup plus riches en enseignement mais plus difficile.
Toutes expériences à son lot de bonnes et de mauvaises surprises et, je suis persuadé qu’elles valent toutes le coup d’être vécues. Même si je ne fus pas vraiment emballé par ce que j’ai découvert et même si je ne souhaite pas de suite y remettre les pieds, je comprends tout à fait les personnes qui s’y plaisent et je les respecte. L’Afrique Noire restera pour certains des territoires attirants, mythiques, etc. Ce sont les sensibilités de chacun qui parlent : d’ailleurs, j’ai même rencontré des personnes étrangères passant leurs retraites volontairement au Tchad.
Je ne regrette en rien de m’être envolé pour le Tchad car depuis longtemps j’avais le projet de faire du Volontariat. Je ne serais pas parti, sans doute l’aurais-je regretté toute ma vie !
Ce fut une expérience unique et également un moyen de se dire que malgré les différences de niveau de vie, de couleurs de peau, de culture et de religion, nous sommes finalement pas tant différents que cela dans nos attitudes et nos sentiments : nous avons tous des moments de joie, de tristesse, de tentation, etc…Tout ce que fait de nous des êtres humains ainsi que toutes nos sensibilités qui vont avec et qui sont naturels ! On découvre alors tellement de similitudes, à condition de faire taire nos préjugés….Nous avons tellement de choses à découvrir et à apprendre des autres !!
La paix sur vous,
Antoine